L’ART ET LES ARTISTES sur l’exposition de la céramique moderne au musée Galliéra, et ce sera pour nous matière à précieuses comparaisons. Enfin, les Turqueries au xvitt. siècle, voilà qui va retenir pour l’instant notre attention. A vrai dire, je crains que ce programme ne se confonde un peu avec le programme d’une exposi-tion qui eut lieu, l’an dernier, au Musée des Arts déco-ratifs, et qui se proposait de montrer l’influence exer-cée par la Chine, le Japon, sur l’art ou, plutôt, sur le goût français du xvile siècle. Orient, Extrême-Orient, on n’était pas très fixé à cette époque, et l’on n’avait pas… délimité ces pays un peu vagues, qui n’existaient guère que dans l’imagination des Français et des librettistes d’opéra, et ce que nous voyons aujourd’hui au Pavillon de Marsan ne peut être considéré que comme le complément de ce que nous avons vu en 19 ro. Quoi qu’il en soit, l’idée fondamentale est par-faitement juste. L’art, la littérature, la vie intime, la petite histoire, répètent en écho la grande his-toire, à moins que la grande histoire ne trouve ses origines dans la petite histoire. L’un et l’autre se dit ou se disent. Donc, le grand Turc fut à la mode, en France, au xv111 siècle. Il y avait à cela une raison politique. L’empire ottoman, il est vrai, en sa qualité d’Etat musulman, n’avait jamais été admis dans le concert des puissances chrétiennes d’Europe; les souverains chrétiens formaient une sorte de famille; le Sultan restait un étranger, il n’avait qu’un allié : le roi de France. Il s’était établi en Europe par la conquéte, les autres souverains pouvaient l’en expulser par la force. Ses états étaient hors du droit international, comme un domaine vacant que chacun peut occuper. La poli-tique française consista souvent à s’allier aux Turcs pour faire une diversion à l’Autriche, l’ennemie séculaire de la monarchie française. C’est pourquoi on fit fête aux ambassadeurs turcs qui venaient à Paris et, notamment, à Mehemet-Effendi, chargé de complimenter en 1721 « le roy sur son avène-ment au trône s. Charles Parrocel a représenté le cortège au moulent où il sort des Tuileries. Cette vaste composition, qui appartient au Musée de Versailles, occupe le fond du hall au pavillon de Marsan et semble justement présider, pour les rai-sons d’Etat qu’elle exprime, à toute l’exposition. Elle fut traduite en tapisserie, sur le métier de haute lisse, par la manufacture des Gobelins. C’est une tenture en deux pièces que l’on peut voir éga-lement au pavillon de Marsan et qui appartient au garde-meuble national. La première représente l’entrée de l’Ambassadeur dans les Tuileries et a été commencée en 1732, par Le Febvre ; la seconde, qui figure La Sortie de l’Ambassadeur par le Pont tournant, a été commencée par le même lissier, mais terminée par Monmerqué. C’est une des rares tapisseries qui, au xviir siècle, fasse allusion aux grands événements politiques; on se plaisait davan-tage alors aux sujets galants, et il est significatif que, pendant longtemps, on ait classé, en même temps que ces deux belles pièces, les chasses de Oudry dans une série qui s’appelait l’Histoire de Louis XV. Même indifférence à l’égard de l’art religieux; on verra au pavillon de Marsan la fameuse suite de l’histoire d’Esther, exécutée en haute lisse, aux Gobelins, de 1739 à 1795, d’après les cartons du peintre de Troy, en treize exemplaires, plus un quatorzième exemplaire pour les n » t, 3, 4 et 7, et l’on verra que l’histoire d’Esther est devenue très théâtrale, plus théâtrale que l’Esther de Racine, jouée sur le théâtre de Saint-Cyr. L’évanouis-sement d’Esther, le couronnement, la toilette, le triomphe de Mardochée, la prise d’Aman, le dédain de Mardochée, le repas d’Esther, tels sont les sept épisodes choisis, pour fournir un prétexte à un déploiement de costumes à l’Orientale, je n’ose dire à la Turque. Le goût du temps s’y manifeste, ainsi que dans la Tenture des Indes d’après Desportes; la Tenture chinoise d’après Fontenay, Vernansaal et Dumont, les Bohémiens d’après Le Prince ; les Sultans d’après Amédée Van Loo; les Véies russes d’après Casanova. En vérité, le jardin d’Armide s’élargit; ses frontières vont de la Bohème à la Chine ou à l’Inde, en passant par la Turquie. C’est un engouement; c’est la curiosité des Parisiens pour le Rica des Lettres persanes, pour Liotard habillé en Turc, pour les ambassadeurs siamois, pour Mehemet-Effendi, pour les Trois Sultanes de Favart, pour les divertissements de ballet et d’opéra, et les peintres du temps, amusés et voulant plaire au public amusé comme eux, donnent le meilleur de leur talent à le satisfaire dans ses préférences mêmes. Ainsi, de nos jours, la ferveur qui accueille à Paris les ballets russes a provoqué aux Salons annuels toute une catégorie de peintures inspirées par les ballets russes M. j.-E. Blanche, M. Larry-Barbier, Mi » Berthe Langweill, pour ne citer que les plus adroits et les plus séduisants, ne font, après tout, que ce que faisaient Parrocel, de Troy, Aved, Liotard; ils sont aussi Russes que ceux-là étaient Turcs. On suivra donc, avec infiniment de plaisir, cette évolution d’un exotisme savoureux dans les pein-tures, les gravures, les dessins. On ira vers les jolis dessins de Liotard, que le Louvre a prêtés, vers les deux pastels de la collection Heseltine, qui représentent l’un, des femmes turques, non pas des Turques de ballet, mais de vraies désenchantées, l’autre, lord Edward Wortley Montage en cos-t78