OCTOBRE 1902 La plupart des meubles exposés au Salon ap-partiennent à la catégorie des meubles de styles traités librement. Le Louis XVI parait rallier le plus grand nombre de suffrages. Dans ce style, une chambre à coucher de la maison Gouffé jeune peut prétendre aux honneurs du Salon : c’est un bel ameublement, dans lequel un dessin d’un goût sûr est relevé par un choix de matières du plus heureux effet. Il faut citer aussi la chambre à coucher de la maison Barbedienne (Dansas), blanc et or, en Louis XVI, ornementée très libre-ment et avec tact; également, toujours dans le même style mais plus simple, celle de la maison Schmit. Les ameublements dérivés plus ou moins indi-rectement du Louis XV sont moins nombreux; la popularité persistante de ce style fàcheux commence à diminuer. Une salle à manger de MM. Mercier frères ne manque pas de qualités, mais elles ne peuvent compenser la veulerie ori-ginelle de tout ce qui vient de cette époque. Dans le genre ■, moderne z ou n art nouveau z, dont nous donnons quelques spécimens exposés, la plupart des objets sont plutôt regrettables. Il n’en faut du reste pas accuser les maisons ex-posantes; elles subissent l’influence de si mau-vais exemples ! Dans cette saturnale du bois taillé en courbe, MM. Damon et Colin (maison Krieger’, restent à peu près seuls dans la nature des choses, qui veut qu’en général les pièces de bois se travail-lent en ligne droite; ce respect d’un principe élémentaire est un mérite par le temps qui court. Leurs meubles ont malheureusement quelque lourdeur, et l’on y voudrait quelque chose de plus primesautier. Un ensemble de la maison Bàrbedienne, resté trop tard inachevé pour que nous pussions le reproduire, et une salle à manger de la maison Gouffé jeune se distinguent par la mesure apportée par les des-sinateurs dans les travers de l’z art moderne Le premier peut passer pour une des meilleures choses qu’on ait faites dans le genre. Dans la seconde, les meubles sont malheureusement ac-compagnés d’une décoration murale n nouilli-forme z, du genre de celles qu’on voit dans les nouvelles pièces du Palais-Royal et de l’Athénée; cette décoration gâte le plaisir qu’on prendrait, autrement, au stand de la maison Gouffé jeune. Un buffet de la maison G. Guérin peut encore être cité, quoique n’étant, à vrai dire, qu’un meuble Louis XV avec l’application plus ou moins heureuse de quelques particularités de la manière du jour. Une mention honorable est due à la chambre à coucher dessinée pour un modeste ébéniste, M. Novât:, par un tout jeune homme, son fils. J’ai gardé pour finir les seuls meubles em-preints de personnalité, ceux de M. Majorelle. Ceux que nous reproduisons sont choisis parmi 305 les plus simples (on sait combien la production de M. Majorelle est variée). La crédence, la table et la chaise sont infiniment plaisantes; je n’ima-gine pas de petite salle à manger plus fraiche, plus coquettement simple que celle dont ces pièces font partie, ni d’exemple qui montre mieux comment on peut faire quelque chose de neuf avec des montants tout droits, des pan-neaux carrés tom bètes, et des pieds tout bon-nement en fuseau. Le véritable art nouveau, le voilà c’est celui dans lequel il n’y en a pas… pour ceux qui ne savent pas le découvrir. Dans l’esprit de la Chambre syndicale, le Sa-lon devait réunir toutes les industries du mobi-lier. Mais le temps a manqué pour pousser l’exé-cution du projet jusqu’au bout. Il sera plus complet les fois suivantes. Cette année, les in-dustries autres que le meuble n’ont demandé que peu de stands ; notamment celle des bronzes d’éclairage, si importante et dont les produits jouent un si grand rôle dans l’aspect d’un inté-rieur, n’est représentée que par trois ou quatre fabricants. Parmi ceux-ci, M. Guinier se dis-tingue par des appareils agréablement dessinés, d’un genre assez neuf pour trouver leur place dans les milieux les plus modernistes, et assez sobre -pour ne pas détonner dans les ensembles les moins hardis, J. CHRONIQUE Paris s’enrichit décidément en musées. Cette année, nous avons conquis le Musée Galliera, qui a gagné quelque importance grâce aux ex-positions qui s’y succèdent, car jusqu’alors on peut dire qu’il gardait n l’incorruptible orgueil de ne servir à rien s. L’an péochain, nous au-rons le Petit Palais, corsé de la collection Du-tuit, et le Musée Gustave Moreau — denique tan-dem! Ainsi Londres s’est augmenté ces dernières années de la Tate Gallery et la Collection Wal-lace; mais il faudrait prendre garde chez nous de ne pas décourager les donateurs par les hé-sitations et les formalités qui précèdent l’accep-tation de leurs legs. Par ses exigences très fermes, M. Dutuit vient de créer un heureux précédent : ou tout de suite ou jamais s, a-t-il dit, et les bureaux ont dû se bousculer. Quant au Luxembourg, il y a beaux jours qu’il est devenu un musée enseignant et militant, par-ticipant à la vie de l’art, grâce à l’active ini-tiative de son éminent conservateur, M. Léonce Bénédite. Le Louvre lui-même a pris le parti des nouvelles méthodes de classement, qui ne font pas seulement d’un musée un grenier à ta-bleaux, à sculptures ou à objets d’art, mais qui permettent de mieux comprendre et juger les