LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE 151 mière, celle où, oubliant la manière de Tocqué qui l’avait d’abord influencé, et après avoir entrevu, dans quelques gravures parvenues jusqu’à lui, l’art de La Tour et celui des grands peintres anglais du temps, il a at-teint sa manière person-nelle. L’oeuvre est d’une séduction qui pénètre, toute ramassée dans le masque mélancolique, éclairé d’un léger sourire et que relève un rouge très vif, et dans la modulation très sensible d’une robe grise à reflets mauves que contrastent le brun profond d’une four-rure et l’or de quelques brandebourgs. Le portrait est signé à gauche, en bas, en lettres latines : Lévitski. Une vieille inscription à l’encre, sur le châssis, porte ce nom : Ma-dame de Narichekin. Rien n’a été plus facile que de réunir les renseignements nécessaires à l’identification complète du modèle. Mais, avant de les fournir, il convient de rappeler succinctement la vie de Lévitski et sa nature d’artiste. Paul Mantz qui, rencontrant des portraits de Lévitski à l’Exposition de Londres en 1862, fut le premier à écrire le nom du peintre en France, parle de sa pein-ture « bonne et saine », conçue dans un sentiment tout français. Son impression était juste. A Kiév, où se passa l’adolescence de Lévitski et où son père était graveur à l’Académie ecclésiastique, l’influence française adjointe à l’influence polonaise, était réelle. Antropov, le maître auprès duquel le jeune Lévitski étudia le por-trait, était élève de Louis Caravaque, premier peintre de Pierre le Grand ; et à l’Académie de Pétersbourg, nou-vellement fondée, où son maître l’attira, il reçut les leçons de Lagrenée l’Aîné. Le souvenir de Louis Le Lorrain y était entretenu par des portraits encore tout frais. Né en 1735 dans un bourg cosaque du Gouvernement de Poltava, Dmitri Grigorévitch Lévitski approchait de la trentaine à l’avènement de Catherine II ; mais la première notoriété ne devait lui venir qu’en 1770. A cette époque, il brilla à la première exposition de l’Aca-démie russe. Sur cinq portraits remarquables, il y pro-duisait ceux du président de l’Académie, du recteur Kokorinov et du secrétaire de l’Académie des Sciences, Téplov. Les années suivantes, il exécuta celui du V. L HOHOVIKOVSKI. — PORTRAIT DE D, G. ■PPARTIENT A 11. GORLOVENX0, PETROGRAD.I • vice-chancelier Alexandre Golytsine, père de l’ambas-sadeur à Paris, avec lequel Diderot eut de si nombreuses et si durables relations, et aussi celui de l’original mar-chand Procope Demidov. En 1773, il eut à peindre les plus brillantes des jeunes filles ayant terminé leur éducation à l’Institut Smol-ny, création de Catherine II, dont l’impératrice était aussi fière que Mme de Maintenon le fut de Saint-Cyr. La tsarine, loin de l’idée de pouvoir donner des séances à un artiste russe, lui confia du moins les por-traits de ses pupilles. Lé-vitski peignit ainsi une pre-mière série délicieuse de portraits grandeurnature où les jeunes ‘filles apparais-sent déclamant :ou dan-sant, ou figurant dans des scènes des spectacles de l’Institut. Est-ce Catherine, est-ce Betski, le vieux directeur des Bâtiments, est-ce le prince Golytsine ou est-ce Mme Na-rychkine qui mit l’artiste en relations avec Diderot ? On ne sait. Il est très fâcheux aussi, et un peu singulier, que le nom de notre peintre ne soit jamais venu sous la plume du philosophe, si bavard, qui a parlé de plusieurs autres artistes russes, ceux il est vrai qui passèrent à Paris. Mme de Vandeul, sa fille, ne le nomme pas non plus. Pourtant, une tradition de la famille Lévitski est que Diderot estima le portrait que Dmitri Grigorévitch avait fait de lui (il a quelque ressemblance avec le buste de Mlle Collot, affectionné par le critique) et qu’il le garda pour sa. famille. Ce dernier point est exact. Néanmoins, Mme de Vandeul, à la mort de son père, offrit le portrait au pasteur Étienne Dumont, qui le légua à la Biblio-thèque de Genève. Selon la même tradition, Lévitski serait resté peu satisfait de l’encyclopédiste. Sa fâcherie eut pour cause les critiques par lui adressées à Lagrenée l’aîné. A leur propos, Lévitski aurait dit en petit-russien : « C’est fin, pointu et contourné comme la queue d’un cochon de lait… S’il en avait dit de pareilles avant son portrait, je sais quels yeux et quelle bouche je lui aurais peints. ), Dmitri Grigorévitch peignit à merveille R les yeux très vifs, les assez grands traits, la tête tout à fait d’un an-cien orateur » dont Diderot parle lui-même dans son Salon de 1767 ; et il saisit son attention en suspens un FIND ART DOC