La Californie cù travaillent ces deux architectes a toujours conservé un certain caractère d’autonomie par rapport au reste du territoire américain, ne serait-ce que par la qualité du climat et du paysage. On y trouve à la fois la ville la plus proche de la culture européenne : San Francisco et celle qui est l’une des expressions les plus frappantes, de la civilisation américa:ne : Los Angeles. C’est dans la « Bay Region » autour de San Francisco que s’est développé au début du siècle l’un des deux mouvements les plus originaux de l’architecture américaine. A l’encontre de l’Ecole de Chicago qui s’est résorbée au moment de l’apport européen, le style « Bay Region est resté vivant jusqu’à ce jour. Son trait le plus marquant réside dans l’utilisation prédominante du bois, pour la plus grande partie de la construction : ossature, cloison, revêtements extérieurs, etc… Plus ambiance que ,répertoire, ce style a aussi bien pu absorber les influences japonaises et orien-tales que permis aux architectes de s’exprimer en toute liberté. Ce milieu un peu en marge des luttes de l’actualité, a ainsi dans une certaine mesure favorisé le développement de recherches d’une grande originalité. Les oeuvres des deux groupes d’architectes présentés ici en sont la preuve. Mais leur intérêt ne provient pas tant de leur atta-chement à ce cadre, que des idées qu’elles expriment et de l’audience qu’elles reçoivent. La place importante qu’occupent ces architectes dans l’enseignement aux Etats-Unis n’est sans doute pas étrangère à ce rayonnement. Au premier abord, l’aspect général d’une construction de J. Esherick n’offre aucun élément de choc, mais l’impression de se trouver devant une oeuvre benale se dissipe devant certains détails qui viennent troubler la vision et qui par leur présence retiennent et forcent à l’analyse. Par exemple l’emplacement et la forme des ouvertures, les traitements des volumes, n’ont pas l’air de résulter d’une conception plastique générale mais d’impératifs précis, de nécessités qui leur sont propres. On s’aperçoit rapidement que ces détails qui nous attirent sont révélateurs des conceptions architecturales d’Esherick : — Reposer les problèmes au stade le plus fondamental même en ce qui concerne les élé-ments les plus infimes ; — Redécouvrir la vrai signification de chaque élément sans idée préccnçue ; — Rechercher des méthodes de conceptions plus cuvertes en faisant appel aux possibilités offertes par les sciences modernes ; — Repenser le rôle de l’architecture en foncticn d’une nouvelle compréhension de la réalité acceptée dans sa complexité et ses contradictions ; — Reconsidérer la hiérarchie architecte-utilisateur, reconnaissant à ce dernier une place pré-pondérante, cherchant à respecter ses désirs et essayant avant tout de fournir un terrain favorable à la réalisation de ses aspirations. Esherick récuse tout jugement sur le produit fini, considérant que l’architecture ne réside que dans la vie d’une construction, vie qui débute dès le premier stade de la conception et qui se pro-longe au-delà de la réalisation. C’est pour cela que ces oeuvres ne peuvent être examinées qu’en tant qu’instrument, instrument accordé sur l’utilisateur et dont la qualité ne peut être appréciée qu’en fonction de l’usage qu’il permet et de la manière dont il est employé. Autant les oeuvres d’Esherick se présentent pleine d’hésitation, d’ambiguité, d’interrogation, et d’inquiétude même, autant celles de Moore par leur simplicité et leur fraîcheur affichent une décontraction, une joie de vivre pleine d’humour. Semblant se placer résolument hors de la culture architecturale actuelle, loin de tout souci de pureté, accumulant les éléments les plus hétéroclites tels que cheminées, colonnes, etc, se limitant aux problèmes spécifiques de l’habitat de vacances, leurs « cabannes » bousculent allè-grement règles et tabous de l’architecture moderne. Cependant que l’on ne s’y trompe pas; derrière cette apparence si simple, presque puérile, se cachent une science très réelle et très profonde des problèmes architecturaux. Au-delà de leur aspect fruste, mal dégrossi, transparaient une grande habileté et un grand raffinement. Moore, Lyndon, Turnbull et Whitaker, dissimulent ainsi sous une apparente spontanéité, une expérimentation continue de leurs idées; idées qui concernent en particulier l’importance du caractère spécifique de chaque composant de l’architecture et de la place prédominante qu’occupe la création d’un lieu. Si ces conceptions se retrouvent au coeur d’un grand nombre de recherches actuelles aux Etats-Unis, c’est eux qui en donnent l’expression la plus explicite. Spécifité veut dire que l’on doit reconnaître à tous les stades d’appréhension le caractère propre d’une chose, qu’il s’agisse d’un site, d’un espace, d’une fonction. Créer un lieu signifie en déterminer et en exprimer d’une façon claire ses limites et sa spéci-fité que ce soit d’une façon concrète ou virtuelle, des « excitations visuelles » pouvant être suffi-santes. « L’architecture, dit D. Lyndon, donne aux gens la possibilité de se situer dans l’espace, le temps et l’ordre des choses, il leur donne un lieu intérieur. La distinction entre intérieur et extérieur est à la base même de toute architecture et le passage de l’un à l’autre est et a toujours été un des principes fondamentaux de cet art. » En examinant attentivement leurs réalisations on se rend compte avec quelle virtuosité ils matérialisent ces conceptions : partis de schémas volontairement élémentaires, une boîte, un plan carré, une toiture pyramidale, une tour, ils les déforment, y particularisant des lieux, y ajoutant des appentis suivant les besoins, aboutissant finalement à des espaces vivants d’une grande richesse et d’une grande diversité. Non seulement ces maisons reposent le problème de la « maison » mais encore elles reposent le problème de l’architecture. Autant que des réponses, elles sont des interrogations. Les réalisations de Moore et d’Esherick pour le Sea Ranch sont certainement les plus expres-sives de leurs recherches. Il était donc particulièrement intéressant d’en donner le plus largement possible les conditions, les objectifs, les processus d’élaboration. Patrice GOULET et Pierre LACOMBE. JOSEPH ESHERICK est né en 1914 et a reçu son diplôme d’architecte à l’Université de Pennsyl-vanie en 1937. Après avoir travaillé briè-vement pour George Howe à Phila-delphie, il partit en Californie où il ouvrit sa propre agence en 1949. Il enseigne à l’Université de Californie à Berkeley depuis 1952. Il est associé actuellement avec George Homsey et Peter Dodge. Esherick a réalisé en 1965, avec Vernon de Mars et Donald Olsen « Environmental Design Building» à l’Université de Berkeley. M. L. T. V. CHARLES W. MOORE est né en 1925. Après avcir poursuivi ses études d’architecture aux univer-sités du Michigan et de Princetan, il dirigea sa propre agence à Monterey et Berkeley de 1951 à 1962. Il fut de 1962 à 1965 directeur du département d’Archi-tecture de l’Université de Califoinie où il enseignait d’ailleurs depuis 1960. Cette année, Moere a remplacé Paul Rudolph à l’école d’art et d’architec-ture de l’Université de Yale à New-Haven. Dirige l’agence MLTW de New-Haven. DONLYN LYNDON, né en 1936, est le plus jeune mem-bre du groupe. Après des études à l’Uni-versité de Princeton, il obtint une bourse Fulbright qui lui permit de faire un voyage d’études en Inde. Il a éga-lement visité le Japan, le Cambodge, la Thailande et presque tous les pays européens. Il a écrit de nombreuses études dont celle très intéressante sut l’architecture américaine publiée dans le numéro 281 de « Casabella ». Il est aujourd’hui le correspondant de la revue Architectural Forum » pour la côte ouest. Il a enseigné à Berkeley de 1961 à 1964, depuis il dirige le département P.rchitecture de l’Université d’Oregon à Eugène où il résine actuellement. Dirige l’agence MLTW de Eugène. WILLIAM TURNBULL est né en 1935. Il fit ses études à Princeton comme Moore et Lyndcn, puis travailla trais ans dans l’agence Skid-more, Owings, Merrill de San Francisco. enseigne à l’Université d’Oregon et plus spécialement à l’Université de Cali-fornie. Dirige l’agence MLTW de Ber-keley. RICHARD R. WHITAKER est né en 1929. Après avoir fait des études de recherches de marché et de publicité au collège d’Etat de Fresno, il suit jusqu’en 1961 les cours d’archi-tecture de l’Université de Californie à Berkeley cù il sera ensuite professeur jusqu’en 1965. Whitaker est directeur des programmes d’enseignement de l’Institut des Architectes Américains (A.I.A.). Dirige l’agence hington. FIND ART, DOC