500 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE songe de la nature », font acte de plus de génie encore en se rapprochant de ce même mensonge. Seulement quand on a trop coupé, on recolle moins bien, et quand on en a perdu l’habitude on ne sait plus mentir, pour ne pas remonter plus haut, comme ces menteurs experts qui s’appelaient Courbet, Manet, Renoir, ou Puvis de Chavannes. Toujours est-il qu’il n’y a pas que l’enfer qui soit pavé de bonnes intentions, et qu’une bonne intention, d’où qu’elle provienne doit être reconnue et encouragée. Il est également avéré que la réaction académique que quelques-uns d’entre nous avaient prévue et prédite, en pleine période de guerre et même avant la guerre, est en train de se réaliser et même beaucoup plus vite que nous ne pensions. Presque trop vite, car on sait qu’au moment où un homme tombe d’inanition dans la rue, il est dangereux de le gorger sur-le-champ de nourri-tures trop substantielles. Il en est de même des écoles qui tombent par disette de doctrine et inanition de métier : il est plus prudent de ne pas les transformer —parce que la mode semble s’y orienter — en écoles du classique le plus pur. Les écoles, comme nos villes rava-gées, hélas ! ne se reconstruisent de façon harmonieuse et durable, que progressivement. Qu’il suffise donc de savoir que « l’on portera beau-coup, cet hiver » le retour aux traditions, et la réouver-ture des salles françaises du Louvre y contribuera d’au-tant mieux que, suivant la remarque très judicieuse de Guillaume Janneau, dans un récent article, la jeunesse artistique ne connaissait pas, à la lettre, les maîtres qui rayonnent dans ces salles, puisqu’ils avaient été évacués pendant plus de six ans, c’est-à-dire pendant un temps plus long qu’il ne faut pour passer de l’enfance à la jeu-nesse proprement dite. Or, puisqu’il y a là, tout au moins dans sa forme su-perficielle, une question de modes et que nous avons pu annoncer, d’après des signes à peu près certains, ce qu’on portera cet hiver, il est opportun de s’adresser aux femmes, qui excellent à propager la mode, à la per-fectionner, à la poursuivre dans ses plus fines consé-quences, et de leur tenir à peu près le langage suivant : « — Mesdames, vous êtes devenues les meilleures édu-catrices, ou il ne tient qu’à vous de le devenir. Jeunes filles ayant fait quelques études, vous pouvez guider vos parents nouveaux riches dans leur besoin de deve-nir des Mécènes. Jeunes épouses, vous pouvez également fixer les idées de vos maris, souvent un peu plus vagues, relativement aux arts, qu’à la Bourse, à la boxe, à l’auto ou au tango. Jeunes mères, vous devez empêcher vos enfants aussi bien de prendre pour un grand maitre tel membre de l’Institut que nous ne nommerons pas, que d’acclamer comme un génie rénovateur tel bar-bouilleur impuissant ou roublard que nous nommerons moins encore. « Pour cela, un très petit nombre de préceptes et de recettes suffisent ; en voici quelques-uns pour com-mencer : « Ne considérez pas la sensation matérielle comme la preuve de la beauté d’une oeuvre d’art. Consultez votre coeur autant que votre face-à-main. « Apprenez en visitant le musée que les plus grands artistes marchent comme les autres hommes, sur leurs deux jambes, mais non pas à quatre pattes, et en se di-rigeant droit devant eux et non à reculons. Seulement ils marchent avec plus de sûreté, d’aisance et de grandeur que les autres. « Ne croyez pas que la poésie d’une oeuvre d’art soit de la littérature. Chaque art a sa poésie exprimée par des moyens de métier qui lui sont propres et qui reposent sur la logique de l’esprit, l’éducation de et l’expé-rience de la main. « Vous qui n’admettriez pas que votre couturière vous forçât d’accepter une robe exprès mal coupée et une carcasse de chapeau, ne vous laissez pas convaincre qu’une grossière déformation ou un inachèvement sans raison expressive soient les signes infaillibles auxquels on reconnaît une oeuvre d’art originale. Et même défiez-vous un peu de ce terme faussé si tant est qu’il ait jamais été juste. « En revanche, ne prenez pas une perfection de con-fiseur pour l’héritage des grandes époques classiques. Les modes artistiques de cet hiver pourraient favoriser de telles méprises. « Enfin, quand un bouquet peint ne vous dorme pas immédiatement envie d’en aller acheter un frais et par-fumé, quand un corps de femme en peinture ne vous semble pas aussi parfait que le vôtre, mais au contraire estropié et rebutant, tenez-vous-en plutôt, comme terme de comparaison, à la Vénus de Botticelli, à l’Antiope de Corrège ou même à la Source d’Ingres. C’est toujours plus sûr. « Ah ! j’allais oublier ceci qui est capital : en présence d’un portrait regardez les yeux et la bouche avant de vous exclamer sur la couleur de la robe. « Avec ce petit memento et en le complétant par vos propres sentiments et non par celui des marchands, des critiques et des amateurs de vos amis, vous éviterez de faire proférer par la voix la plus mélodieuse qui puisse sortir d’entre les plus jolies dents du monde, les plus désolantes niaiseries. ARSÈNE ALEXANDRE. FIND ART DOC