Cette étude ne prendra sa vraie signification que si elle permet de cerner les problèmes qui se posent aux architectes et la manière dont ils envisagent de les résoudre. Dans cette perspective, il est intéressant de connaître l’opinion d’architectes valables. L’avis de Riccardo Porro ouvre cette discussion. Architecte cubain auteur de deux des écoles d’art de La Havane et d’un intéressant projet pour le concours du Kursaal de San Sebastian, il est d’autant plus concerné qu’il vient rechercher en France la possibilité de continuer son oeuvre. Riccardo Porro Après une lutte très dure, l’architecture « moderne » a tina:ement été acceptée par tout le monde. Les pays socialistes et capitalistes ont adopté ainsi un nouvel académisme qui s’est substitué aux ordres classiques. L’architecture que Zévi appelle rationaliste est aujourd’hui, dans la plupart des cas, une architecture facile à imiter, où les principes des « grands maîtres » sont appliqués de la façon la plus mécanique. Ces principes, qui pour eux avaient une véritable signification, ne sont plus aujourd’hui que le reflet d’un esprit bureaucratique. Ce genre d’architecture s’est manifesté avec force en France. Si Le Corbusier a très peu construit malgré l’intensité de sa lutte, s’il est mort sans laisser beaucoup de réalisations dans un pays où on a tellement construit depuis la dernière guerre, son influence a cepen-dant été énorme, et pas tellement par la force plastique de ses meil-leures oeuvres, mais bien plutôt par ses formu:es urbanistiques et architectoniques appliquées malheureusement sans le génie et l’ima-gination du grand maître. Cet académisme, qui a si peu compris le grand artiste, n’a produit que des espaces inhumains et laids. Des centaines de quartiers d’habitation ont surgi, non seulement en France, mais jusqu’à Pékin ou Buenos Aires, engendrant des espaces dépri-mants où l’être humain devient un objet difficile à caser, et qu’on installe finalement dans n’importe quelle boîte. Beaucoup d’architectes se révoltent contre cet état de choses et ceux dont je veux parler se caractérisent par une réaction violente à l’esprit conformiste du milieu architectonique. MAILLARD ET DUCAMP. Ces architectes partent du structuralisme, si courant à notre épo-que et qui a donné souvent de bien pauvres résultats. Dans leur cas, cependant, la structure n’est pas employée comme une fin, mais comme un moyen les aidant à créer des espaces riches. Plus ils appro-fondissent leurs recherches de structures, plus ils aboutissent à un morcellement de la forme qui commence à donner des résultats d’un intérêt véritable. RENAUDIE, RIBOULET, THURNAUER, VERET. Eux partent du plan libre, un principe des maîtres du rationalisme, cherchent dans la géométrie une variété qui se perdait dans l’acadé-misme contemporain. PARENT ET VIRILIO. De plus en plus leur architecture cherche une image, la plus puis-sante possible, de quelque chose qui les frappe dans !e monde qui les entoure. Ces architectes vont ainsi faire de leur bâtiment un objet agressif, une machine. C’est un thème qui devient un éternel retour de notre temps. Ils frappent nos yeux avec l’image, un peu hors d’échelle, d’une voiture, d’un avion, d’une machine à écrire ou d’un appareil de science-fiction. Leur architecture devient l’image de l’objet-machine qui nous agresse et nous aliène. Le Corbusier avait dit : « La maison est une machine à habiter », et pourtant son architecture était, non pas une machine, mais l’objet à angles droits, très beau d’ailleurs, capable d’être construit par une machine. Chez Parent et Virilio, l’image n’est pas ce que crée la machine, mais la machine elle-même, aussi agres-sive qu’elle puisse l’être. Il n’existe pas de continuité dans la forme: tous les éléments donnent l’impression d’avoir passé une « assembly live » comme les différentes pièces d’une carrosserie. Les courbes de leurs bâtiments n’ont pas le sens vitaliste des orga-nismes vivants, mais elles nous donnent l’impression d’un objet aéro-dynamique, par exemple l’aile d’un avion, d’un garde-frein, d’une auto ou de n’importe quelle machine luttant contre un élément naturel qui lui oppose résistance. Leur vision est proche de celle d’artistes comme Paolozzi, Tinguely ou César, dont les oeuvres ont de nombreux points communs avec cette architecture, Ils cherchent une harmonie avec la nature et ce n’est pas préci-sément à cause des contenus, mais à cause des relations de formes. L’objet architecture a l’intention de sortir diagonalement de la terre. Les architectes étudient les lignes de composition du paysage et essayent de les continuer dans leur architecture. Chez Wright, le paysage fut compris comme une œuvre d’art qu’il fallait compléter par l’architecture. Le contenu de l’architecture est ici naturaliste, en même temps que ses formes. Dans le cas de Parent et Virilio, il y a l’amorce de relation de forme entre l’architecture et le paysage, mais il n’y a pas identité de contenu. C’est l’objet méca-nique opposé au naturel. La compénétration de l’espace externe avec l’interne est réduite au minimum. Comme dans un aspirateur auto-matique cu dans un avion à réaction, les formes mécaniques suggèrent une vie très riche à l’intérieur, mais cette relation a été réduite au minimum. Les espaces intérieurs deviennent les négatifs des volumes externes. Ils s’organisent dans un jeu d’obliques qui obsède les archi-tectes et est le point central de toutes leurs théories, et qu’on retrouve jusque dans la composition des volumes extérieurs. Comme méthode de conception, je pense qu’ils sont partis des vo:umes extérieurs afin de donner une vision puissante, et qu’a partir de cette conception du volume qui n’est plus le prisme, ils ont orga-nisé soigneusement les fonctions d’une telle façon que la forme externe et la fonction interne coïncident parfaitement. La forme ne suit pas la fonction ; on part de la forme et on cherche une harmonie parfaite avec la fonction. Dans l’église de Nevers, ils ont réussi, avec des volumes très fermés, un grand effet dans son espace interne. Le sens du drame, si néces-saire à la liturgie catholique, est souligné par les admirables effets d’ombre et de lumière. La composition, compacte et très forte, est obtenue par la contre-position des obliques qui organisent un très petit nombre de volumes très simples. Le Palais des Congrès de Charleville est le projet le plus poussé de Parent et Virilio. Au lieu de deux obliques, on va au plus simple et on joue seulement avec une seule oblique parallèle au relief, ce qui rend l’architecture encore plus harmonieuse avec le paysage. C’est ici que l’image d’une machine fantasmagorique qui sort du centre de la terre est projetée de la façon la plus claire. LABRO, ORZONI, ROQUES. Ces architectes, très jeunes, mais qui ont déjà eu la chance de réaliser un important projet de station de sports d’hiver dans les Alpes, à Avoriaz, semblent avoir été, au départ, influencés par le romantisme allemand, mais commencent à trouver leur propre chemin. Leur forme d’expression est celle d’un individualisme fort et exacerbé. A Avoriaz, par exemple, ils ont converti tous les bâtiments en toitures hors d’échelle, ce qui n’est pas sans évoquer les toits de Paris. Le résultat est une atmosphère hallucinante dans un paysage aussi hallu-cinant. Le sens de refuge du chalet est perdu, l’architecture devient quelque chose de terrible dans un milieu naturel qui l’est aussi. Cet aspect intérieur, si important, que Wright considérait comme un refuge où l’on pouvait se réfugier, change de sens ici. L’extérieur devient ce qu’il y a de plus important. C’est une image puissante qui est provoquée par cette relation de la forme extérieure avec le paysage et pas avec l’intérieur. Je pense que cette architecture a été conçue, comme dans le cas de Parent et Virilio, de l’extérieur vers l’intérieur. La neige tombant sur ces espèces de monstres « géométrisés « que rappellent parfois ces bâtiments doit souligner de façon défini-tive un informalisme qui a eu des résultats extraordinaires dans la peinture expressionniste abstraite de l’après-guerre et qui, ici, entre en jeu. Un peu à la manière des grands peintres expressionnistes, ils distordent les éléments naturels, cherchant à exprimer dans leur oeuvre cette agonie latente de l’homme qui vit dans un monde en crise. Le résultat a quelque chose de puissant et surtout de très vaillant. BALEY, GINAT, MARCOZ. Baley est un des architectes les plus lyriques actuellement en France. En réaction contre le cartésianisme français, il affirme que la véritable tradition française est celle des grandes cathédrales gothiques. Tout un courant de vitalisme s’épanouit en France au début de ce siècle: le « Mcdern Style » provoquant une exaltation de ce qui est vivant à travers le végétal et transparaissant dans l’architecture de cette époque. Baley, avec un sens mystique un peu pantéiste, amoureux des phi-losophies et de l’art de l’Orient, prend une ligne plus proche de Wright qui cherche, lui, à exprimer le lien homme-paysage. Son amour pour la nature le guide vers un espace architectonique très fluide et très dynamique qui se lie à l’espace naturel. Sa sensibilité lui fait concevoir un mouvement interne d’une jus-tesse étonnante et ainsi, dans sa villa de Fontenay, on le voit jouer avec les espaces avec beaucoup d’élégance. Dans des projets comme l’habitation à Ezanville, on discerne l’in-fluence de Wright, mais aussi la présence d’éléments déjà beaucoup plus personnels, et bien qu’il garde la même fluidité de l’espace, le même sens de la proportion, on peut prévoir sa propre évolution. Dans son projet d’habitation pour Paris, ses formes commencent à se rapprocher du vitalisme français. Un trait à souligner est qu’une grande partie de ses recherches aboutit à des solutions très écono-miques. En ce moment, Baley étudie des projets importants pour la Turquie, et il sera intéressant de suivre son évolution future. Il sera intéressant de suivre le développement de ces architectes et de constater l’influence que leurs recherches pourront avoir chez les plus jeunes. Les recherches individuelles peuvent aboutir à des ce F: plus ou moins valables et à des oeuvres plus ou moins réus=-,-,: seul un effort authentique de création peut aboutir à une AR architecture. DOC